Prêt à vous servir

Bien, la soirée était finie. Pas de voiture pour moi, déjà le costume c’était beaucoup et j’avais interdiction absolue de lui faire le moindre accroc. Et croyez moi quand Diuk prend cet air-là, vaut mieux filer droit. J’avais dévalé les marches de la résidence avec agilité et prenais la direction des quartiers moins huppés de la ville. Vergil me survolais au-dessus des toits. Quand je fus suffisamment loin du bâtiment. Je détachais ma manchette. Bon sang, je me gelais. Je regardais le sac, du givre s’était formé sur le sac. C’était quoi ce délire au juste ? Je ne pris pas le temps de m’en préoccupé plus que ça. Je sifflais et lançait le sac en l’air. Vergil s’en empara. Il me débarrassait des preuves. Comme ça, si je devais me faire arrêter, j’étais blanc comme neige.

Je pris un nombre incalculable de détour. Ouai, j’étais parano mais on était jamais assez prudent et Vergil faisait de même, je l’avais dressé pour ça. Au bout d’une bonne heure j’étais devant l’Huile de Coude. Bien sûr à cette heure, c’était loin d’être fermé… Surtout un samedi soir. Diuk s’était chargé du service pour le début de la soirée. Je prenais le relais pour minuit et j’étais déjà en retard.

Je passais dans la ruelle attenante du pub et sautait avec agilité sur la façade et finissais pas pénétrer par la fenêtre. Je changeais rapidement de tenue et surtout je libérais enfin ma queue. Je l’agitais avec bonheur, à l’instar de mes oreilles engourdis par le poids du chapeau. Bien… Je refermais consciencieusement la fenêtre après l’arrivée de Vergil. Je n’avais pas le temps de m’occuper de mon butin. Diuk devait déjà être à deux doigts de m’égorger. Je balançais ma manchette dans le tiroir de ma table de nuit et actionnait le mécanisme sophistiquer de son verrou. Après quoi je donnais un morceau de viande à Vergil en guise de paiement pour la soirée et je descendis enfin.

- Hey ! Regardez qui nous fait l’honneur de sa présence ce soir !!!

Ah Diuk… Il fallait toujours que mes entrées se fassent… Discrète… avec lui. Les habitués applaudirent et sifflèrent comme si j’étais une vraie star. Je m’inclinais d’une révérence impeccable et tout le monde éclata de rire. Je pris ma place derrière le comptoir.

- T’es en retard gamin…
- Ça a été plus long que prévu…
- C’est ta paye qui ne va pas être longue, tu peux me croire.
- … Faudrait déjà que tu me paie pour ça…

Le grand bonhomme qui me servait de patron fronça les sourcils. Je détaillais son visage, il portait une barbe fournie et son œil droit avait une balafre en travers. Il était parfaitement chauve et je m’interrogeais souvent sur le fait qu’il puisse lustrer sa boule de bowling qui lui servait de tête. On se reflétait dedans… Il avait une stature imposante et j’étais persuadé qu’il pouvait briser un homme rien qu’en le serrant dans ses bras. Finalement, ses yeux noirs s’éclaircirent et il partit dans un grand éclat de rire qui faisait tant sa particularité. Je pris une grande claque dans le dos, ce qui me fit tousser.

- Ça c’est bien vrai.

Je secouais la tête avec un petit sourire en coin. Une jeune femme rousse s’approcha de mon comptoir. Je pris un verre et un torchon et commençait à l’astiquer en la reluquant de la tête aux pieds.

- Hey ! Gaby mon chou…

Mon sourire s’élargit et je posais mon verre sur le desk avant de m’y accouder. Même si je souriais mon regard était noir et glacial, mes oreilles légèrement en arrière et ma queue battait l’air avec agacement.

- Salut Carren, j’ai manqué ta prestation ce soir… Je suis désolé…

Je ne l’étais pas. Carren était notre chanteuse. Elle animait le pub certains soirs. Depuis que j’avais commencé à travailler avec Diuk, elle ne voulait qu’une chose, me mettre dans son lit. C’est une belle femme, les cheveux cours et roux, les traits fin, un corps qui en chaufferait plus d’un. Cependant, j’ai pour principe de ne pas mélanger travail et cul.

- Fait moi plaisir ma belle. Ne m’appelle pas comme ça…

Ma voix avait des intonations polaires et autant vous dire que je ne plaisantais pas. Frapper une femme si cela était nécessaire ne me posait aucun problème. Et ici tout le monde le savait. Elle m’adressa un petit sourire gêner et repartie vers sa scène et son micro.
Je repris mon travail comme si de rien n’était. J’essuyais des verres, je servais les clients, je plaisantais même avec eux. La bonne humeur régnait dans le pub.
La porte s’ouvrit pour laisser entrer une nouvelle personne. Je me redressais et sourit de mon sourire commercial.

- Bonsoir, bienvenue à l’Huile de Coude !

La jeune femme était entrée et s’était directement rendue vers moi. Je la dévisageais tandis qu’elle semblait attendre une réaction spécifique de ma part. Son visage ne me semblait pas inconnu. Mais je n’arrivais pas à la situer. Elle avait de grandes oreilles comme les fées ou les elfes, c’était mignon. Je ne me défaisais pas de mon sourire. Diuk me reluquait du coin de l’œil et j’agitais ma queue, y’avait un truc pas clair avec cette nana.
Finalement elle passa commande et c’est là que tout se remit en place. Hey, mais bien sûr, c’était la petite serveuse au collier brillant. Et, attendez, elle voulait quoi ? J’ai manqué de m’étouffer de rire et soyons honnête Diuk, lui, ne s’en priva pas. Il tapa de son gros poing sur le comptoir. Il était partit dans un fou rire, il avait même les larmes aux yeux. J’affichais non plus un sourire aimable et commercial mais un sourire franchement moqueur. Les clients qui avaient saisi la commande affichaient également des sourires goguenards.

- Ah… désolé, j’ai pas…

Non mais on était dans un pub là. De l’eau… Sérieusement ?

- Je parle de la boisson… Autre chose peut-être ?

Je m’étais également accoudé au bar en face d’elle. Elle était plutôt jolie la demoiselle avec son air effarouché. Elle voulait récupérer son collier. Mouai… elle m’avait pisté, je ne sais pas trop comment d’ailleurs, mais tout était parfaitement à l’abri là-haut, je n’étais pas inquiet le moins du monde.
Diuk c’était approché de nous une fois sa crise de fou rire passé, il s’essuyait les yeux.

- C’est ta fiancée qu’elle te réclame un pendentif ?

Il m’avait donné un coup d’épaule, mais je n’avais pas bougé ni quitté la belle des yeux.

- Tu sais bien que je ne m’embarrasse pas de ce genre de fardeau…

Et voilà, il était repartit… S’en était presque désespérant. Je me relevais et m’emparais d’un verre et d’un torchons et je réunissais les deux pour astiquer le verre.

- Je ne vous ferais pas l’effronterie de dire que je ne sais pas de quoi vous parlez. Cependant, si je vous rendais votre bien docilement, vous conviendrez que je ferais alors un bien piètre voleur…

Je lui offrais un sourire charmeur. Ma queue s’agitait paresseusement dans mon dos. Elle me plaisait bien cette petite, elle avait un culot aussi démesuré que mon égo et c’était peu dire.
Mon oreille droite remuât alors que j’entendais quelque chose. Je relevais la tête et plissais les yeux. Y’avait un problème avec Vergil. Je sautais par-dessus le bar, bondissais de table en table, renversant les verres au passage et m’engouffrais dans les escaliers.
Je poussais la porte avec la délicatesse d’un rhinocéros en furie. Je me figeais sur le palier. Bordel de merde c’était quoi cette merde ?
Vergil, après avoir mangé c’était posé sur ma table de nuit. C’était son perchoir et en plus il faisait office de gardien. Sauf que là, il se débattait comme un diable, ses pattes prisonnières de la glace à l’instar du petit meuble. Je m’approchais à pas de félin en parlant doucement à l’oiseau pour qu’il se calme. Il tourna son œil vers moi et je lus la panique dans celui-ci.
Je sortis mes griffes et m’employais à attaquer la glace, mais elle progressait et Vergil commençait à avoir les ailes gelées.

-Bordel de merde…

Je sortis un de mes flingues de mon holster. Et je m’apprêtais à tirer, visant consciencieusement.

Visiblement elle avait pris mon trait d’humour au sens propre du terme. Et sa remarque ne me plut pas du tout.

- Vous êtes dans un Pub ici ma jolie. On sert de l’alcool, si vous voulez une limonade, retournez donc chez votre grand-mère.

J’avais reposé mon verre propre sur l’étagère, un peu brusquement. Je suis en partie un chat et nous sommes très à cheval sur la propreté... Bien sûr qu'on avait de l'eau... Sérieusement...
Ouai, bah qu’elle continue à espérer. Si elle était bien roulée, elle était en revanche trop exaspérante. Je ne sais pas comment elle avait réussi à me débusquer, mais c’était bien la première fois. Je ne laissais aucune empreinte, aucune trace. Je me faisais suffisamment discret et banal pour que personne ne me remarque et enfin, je ne rentrais jamais par un chemin direct. Donc soit c’était un vrai chien de limier, soit c’est sa breloque qui lui avait permit de me suivre.

Avant la fermeture rien que ça. Et un verre d’absinthe, elle passait du tout au tout. Je la servais quand j’ai bondit pour aller voir Vergil.
J’étais prêt à tirer quand elle s’amena et abaissa mon arme. J’avais dit quoi ? Exaspérante hein ? Oubliez, elle était horripilante.

Vergil la regardait d’un air menaçant, s’il avait pu, il aurait déployé ses ailes, comme il le faisait pour se donner un air dangereux. Il poussa un cri strident et cette fois, c’était elle que je visais. Elle avait sérieusement pensé que j’aurai tiré sur mon propre faucon… Elle ne me connaissait pas, elle ne savait rien et elle faisait sa petite affaire chez moi comme si tout cela était naturel.
La glace disparue de l’oiseau et celui déplia ses grandes ailes avant de venir se poser sur mon épaule et de me pincer doucement une oreille.

Vergil semblait soulagé d’être délivré et moi avec. Je passais mes doigts sur sa tête. Il était encore un peu froid, mais il était sauf et c’était beaucoup. Elle avait profité de cet instant pour pulvérisé mon meuble et récupérer son collier. Elle était passée devant moi avec nonchalance et commençait à disparaitre dans l’escalier.
Je la regardais passer un peu abasourdit par son culot phénoménale, et par son petit cul charmant. Je rangeais mon flingue dans le holster de ma veste et je m’interposais à elle avant qu’elle n’atteigne le bas de l’escalier.
Je me dressais devant elle de toute ma hauteur et occupait tout l’espace, ne lui laissant pas de possibilité pour passer. Ma queue fendait l’air et mes oreilles indiquait clairement que je n'étais pas content. Mes yeux de chat reflétaient la lumière d’en haut à cause de la pénombre de l’escalier. Cependant que discernait parfaitement ces traits et ses yeux bleus.

- Que ce soit parfaitement clair, je vous suis redevable pour Vergil. Cependant…

Je passais mon doigt sur la chaine du bijou alors que je m’étais penché sur elle. Sa peau était aussi froide que son pendentif. Mes yeux s’accrochèrent aux siens et je lui souris dangereusement.

- Soyez certaine que je reviendrais chercher ça… Un jour où l’autre…

Je redescendais en bas de l’escalier et avant de disparaitre dans son angle, je me penchais en arrière et la regardait de haut en bas.

- Oh et c’était un meuble vraiment cher… Alors vous viendrez travailler ici pour le rembourser. Ce n’est pas une invitation et ce n’est pas négociable…

Et je me ferai un plaisir de la traquer pour la ramener par la peau des fesses s’il le fallait. Sa douce odeur avait remplis mes poumons dans l’escalier et je saurai la pister.

Plus elle parlait, plus mon sourire s’étirait. Son air fâché était vraiment charmant. Ses sourcils délicatement froncés, ses jolies lèvres pales pincées. Tous les clients la matait faire son petit scandale. Diuk nous regardait mi-figue mi-raisin. J’enregistrais son conseil pour Vergil dans un coin de ma tête. J’avais mon menton dans ma main, accoudé au comptoir et je la regardais les yeux à moitié fermé. Oh j’étais vraiment très impressionné… Sans aucun doute. J’avais les oreilles bien droite, signe que j’écoutais attentivement, mais ma queue décrivait des figues lentement. J’avais presque envie de ronronner.

Si elle se doutait que je n’aurai pas à courir pour le lui prendre et que le cacher sous cette petite chemise semi transparente ne le dissimulait nullement à mon regard.
Une personne peu obéissante. Avec le caractère qu’elle avait c’était une certitude. Mais les gens docile sont ennuyeux.
Mouai… Si elle parlait du travail qu’elle avait fait ce soir franchement je la plaignait. Être employé par des nobliaux imbus de leur personne qui devait la traiter moins bien qu’ils ne traitaient leurs animaux ou même leur linge sale… Bah si c’était son tripe il pouvait faire de même…

J’haussais mes sourcils en la regardant se levé. Le reste de ma prise était pour ainsi dire déjà vendue et réinvestie. Mais elle l’ignorait et je m’amusais tellement de la voire avec son petit air guindé. Son petit sourire moqueur était plaisant, mais peut mieux faire. Décidément, elle voulait me faire courir partout. Je souris de plus belle. Elle me lançait une invitation là. Je coulais un regard en biais à Diuk pour vérifier que je ne m’étais pas trompé.
Dans le Pub, le silence était général. Ça avait fini en vrai spectacle et je ne pouvais décemment pas décevoir cet auditoire. Diuk fit un geste comme si il m’invitait à agir. Sur mon visage un sourire carnassier s’afficha et j'utilisais ma vélocité du à ma race. Je me retrouvais dans l’encadrement de la porte. Adossé au chambranle, les jambes croisées au niveau des chevilles sur le chambranle opposé. Je regardais les griffes de ma main droite comme si je venais de me les faire et avec un air parfaitement détaché et tout bonnement hautain, je révélais son pendentif que je tenais dans mon autre main.

- Vous voulez parler de ce pendentif ?

Comment j’avais fait ? Allons un magicien ne révèle jamais ces tours. Je lui souris et je m’approchais d’elle, passant dans son dos, je lui remettais au cou. Il était dangereux et je ne voulais pas me retrouver dans la même situation que Vergil. La première fois m’avait servi de leçon. J’avais écarté ses cheveux de sa nuque et remettait la petite fermeture de la chaine. J’effleurais le tatouage que j’avais révélé.  Je glissais mes mains sur ses épaules fragiles et me penchais pour lui murmurer à l’oreille, mes lèvres glissant sur celle-ci.

- Vous commencez demain soir à 8 heures.

Je pouvais entendre son souffle et je sentais les pulsations de son cœur. Son pendentif, ses oreilles, son tatouage en forme d'ailes, tout m'indiquais qu'elle était une fée. Les fées sont des êtres doux et fragiles, pourtant il me semblait que celle-ci devait être l’exception qui confirmait la règle.

Attendez, il faut que je vous détrompe expressément. Oui je lui remets son pendentif (et j’en profite un peu au passage je l’avoue) mais en aucun cas j’y renonce. J’ai juste besoin de me documenté sur la chose. Ce n’est pas un simple bijou. Non seulement il est beau et il brille, mais il est également magique. En le lui prenant je risque de finir en cube de glace et cette perspective manque d’attrait. En plus, je ne pourrais pas le revendre comme je revends les autres trésors lambda. Donc il me faudrait un peu de temps. C’est pourquoi, autant le laisser avec son propriétaire actuel. Il est à l’abri, enfin plus ou moins, mais surtout il ne fera pas de dégât.

Son compliment m’avais arraché un sourire. Oui, plutôt, enfin il le fallait bien si je voulais survivre. J’inhalais son odeur. Déjà dans l’escalier j’avais pu en profiter mais là, j’en cernais toute les subtilités. Elle sentait l’hiver. Oui l’hiver à une odeur bien caractéristique, sans doute différente pour chacun. Pour moi, il y avait une notre de cannelle, de feu de bois, de neige. Oui la neige à une odeur, il faut juste avoir du nez. Un mélange subtil et délicat.

J’avais noté un changement de température, mais je ne bougeais pas. C’était de bonne guerre. Je la laissais prendre le contenu de ma poche. Je regardais mes clés venir à elle avec une lenteur calculer. Mon sourire s’était évanoui quand j’avais senti le froid se glisser dans ma poche. Je la fixais avec un regard qui semblait froid. Ce n’était qu’une face, je m’amusais tellement. Je faillis sourire quand elle me répondit Qu’elle n’abandonnera pas toute sa vie pour me suivre. Mon Dieu que je ne voulais pas qu’elle me suive et encore moins toute sa vie. Mais sa formulation était intéressante, était-ce l’impression que j’avais donné en lui « demandant » de travailler ici ?

Elle me remit mes clés en place. Et ses cheveux également. Je plissais les yeux, ne perdant pas une miette de ce que ses petites lèvres me sortaient. Petit oiseau… Vergil n’était pas un petit oiseau, mais soit.

- Très bien soyons quitte dans ce cas.

Douce et sombre. Tel était ma voix sur cette déclaration. Encore une fois ne vous y trompez pas. Bien sûr que la vie de Vergil valait plus que n’importe quel bien matériel. C’était une évidence. Cependant, je ne comptais laisser ce nouveau trésor sortir bien gentiment de ma vie.
Elle s’était éloignée d’un pas.
Je passais devant elle et lui ouvrait la porte. Depuis le temps qu’elle voulait partir. Laissons la filer. J'ajoutais d'une voix suave :

- Souhaitez-vous que je vous raccompagne, mademoiselle ? Les rues ne sont pas sûres pour une jeune fée…

Pardon ? Un stratagème pour savoir où elle résidait ? hmm… Peut-être, mais je n’avais pas besoin de ça. Son odeur me suffisait. Je lui tenais la porte attendant qu’elle s’échappe. Ce petit jeu du chat et de la souris était tellement plaisant. Et pour une fois, je ne tenais peut-être pas le rôle du chat…